Sur la situation en Catalogne
10/01/2017Que se passe-t-il en Catalogne ? Cette nation présente sur plusieurs territoires de culture catalane (Valence, Baléares, Andorre,…), située principalement dans l’Etat espagnol, et en partie dans l’Etat français, a une situation politique qui évolue rapidement : une crise politique sans précédent s’est déclarée. Le gouvernement de la Generalitat (l’organisation politique détenant les pouvoirs exécutifs et législatifs régionaux de cette « communauté autonome », intégré il y a plusieurs siècles dans l’Etat espagnol) a promis depuis 2015 d’avancer vers la voie de l’indépendance. Pour cela, la Generalitat a convoqué un référendum pour le 1er octobre 2017.
Le gouvernement espagnol conservateur de Mariano Rajoy (dirigeant du Partido Popular, représentant la droite issue du franquisme) semble prêt à utiliser tous les moyens à sa disposition pour empêcher la tenue du référendum, que la Cour constitutionnelle a jugé illégal. Il faut rappeler que la police a quand même mené des perquisitions au siège du gouvernement régional catalan et a saisi les
19 et 20 septembre près de 10 millions de bulletins de vote, que 14 hauts responsables du gouvernement régional ont été arrêtés et le 21 septembre, que la justice a cité à comparaître plus de 700 maires catalans, que des entreprises privées ayant contribué à la propagande indépendantiste ont été perquisitionnées, que la Cour constitutionnelle a annoncé infliger des amendes de 6000 à 12 000€ tous les jours à 24 organisateurs du référendum jusqu’à ce qu’ils se plient aux résolutions de la « Justice ». 60 sites faisant la promotion du référendum ont été fermés, la campagne électorale est illégale et donc le collage d’affiches pour l’indépendance se fait dans l’illégalité, et Madrid a mis sous tutelle les finances de la région pour empêcher les financement illégaux.
La constitution considère en effet que l’Espagne est une et indivisible : malgré l’existence de différentes nations en son sein (Catalogne, Pays Basque, mais également Asturies, Galice, Andalousie…), l’héritage de l’empire et du franquisme reste profondément marqué dans l’organisation de l’Etat. La bourgeoisie continue de célébrer le « jour de l’hispanité », et le principal parti de droite, le PP, est l’héritier directe de la bureaucratie franquiste. Mais dans les faits, la bourgeoisie espagnole est une classe écartelée entre son caractère impérialiste et la réalité d’une centralisation incomplète. Si le pays s’est construit sur l’or provenu de la colonisation de l’Amérique latine, il a connu un important retard industriel par la suite. De plus l’Espagne n’a pas achevé son processus de centralisation comme l’a fait la France, qui a écrasé ses minorités nationales bien plus efficacement avec la diffusion d’une idéologie républicaine jacobine. Seuls quelques régions du nord de l’Espagne ont véritablement connu la révolution industrielle au XIXème siècle comme le Pays Basque (Euskal Herria), la Catalogne (Catalunya), ou encore la Galice.
Ces contradictions ont engendré une grande misère dans les campagnes, des inégalités économiques criantes, des revendications nationales centrifuges, et une instabilité politique profonde. La bourgeoisie dans sa majorité est très liée à l’église catholique, elle méprise ouvertement le peuple et ne cherche pas de vernis progressiste. Face à cela, le mouvement ouvrier s’est développé principalement sur une base anarcho-syndicaliste et anarchiste. Les contradictions de la société espagnole ont notamment été à l’origine du soulèvement réactionnaire puis de la guerre civile de 1936-1939, qui ont aussi vu l’intervention des puissances fascistes, du Mexique et de l’URSS. Basques et Catalans se sont mobilisés aux côtés de la troisième république, espérant obtenir l’indépendance nationale, ou au moins un statut et des libertés publiques.
La défaite de la République a fait taire temporairement les aspirations nationales. Le mouvement anarcho-syndicaliste et anarchiste a été balayé, les communistes ont été plongés dans la clandestinité, et la bourgeoisie a durement écrasé le prolétariat. La transition démocratique entamée après la mort de Franco en 1975 n’a fait que repeindre la façade du vieil état autoritaire et nationaliste : malgré la forme parlementaire de l’état, l’Espagne a un ensemble de lois parmi les plus répressives d’Europe. La torture des militantes et militants révolutionnaires et indépendantistes est courante, et il n’est toujours pas possible de critiquer ouvertement la monarchie.
Mais revenons à la situation actuelle. Qui mène le mouvement indépendantiste en Catalogne ? La direction du mouvement est clairement dans les mains de la bourgeoisie catalane. En termes de classes, une partie du prolétariat, de la bourgeoisie, et la majorité de la petite-bourgeoisie sont de culture catalane. Au contraire « les très riches et les très pauvres sont espagnols » : la grande bourgeoisie, tout comme les prolétaires les plus précaires venus tenter leur chance à Barcelone et dans les zones industrielles, sont plus proches de la culture espagnole.
La dernière Diada, la fête nationale transformée en manifestation pour l’indépendance, a réuni un million de personnes. Depuis une décennie, le développement économique rapide de la Catalogne pousse la petite et la moyenne bourgeoisie catalane à appuyer ouvertement le mouvement indépendantiste. Pour simplifier, disons cela ainsi : pour les bourgeois, il est plus avantageux de garder l’intégralité des impôts au niveau de la Catalogne que de les reverser à Madrid. La Catalogne représente tout de même 20% du PIB de l’Espagne, 30% de ses exportations et 50% de l’activité à forte valeur ajoutée ! Il y a une idée réactionnaire comme quoi « les Catalans » n’ont pas à se sacrifier pour le reste de la population en Espagne. Le mouvement catalan est-il cependant à rejeter dans son ensemble ? Non. Il s’agit d’une lutte nationale portant une caractéristique progressiste (l’indépendance vis-à-vis d’un Etat impérialiste). Mais cette lutte n’est pas révolutionnaire. L’oppression nationale vise le peuple, mais aussi la nation tout entière.
Pour les révolutionnaires de l’Etat français, la situation doit être suivie de prêt. Elle est potentiellement explosive en Espagne, et pourrait avoir des conséquences très importantes au niveau européen, entraînant un effet domino au Pays Basque et ailleurs, par exemple en Ecosse et en Irlande du Nord. Il est clair que Madrid n’envisageait pas que la situation s’envenime à ce point. Pour les conservateurs, il s’agissait d’un simple marchandage économique avec la bourgeoisie catalane, qui faisait son spectacle pour peser dans la balance et mobiliser sa base électorale.
Mais les bourgeois espagnols, qu’ils soient conservateurs ou socialistes, ont négligé un facteur : poussée par sa base, déçue des reculs subis par la Generalitat face aux conservateurs, la bourgeoisie catalane est allée plus loin que prévu. Elle peut encore renoncer au projet indépendantiste et s’en tirer à bon compte, en faisant ce que les politiciens bourgeois savent faire le mieux, c’est à dire en jouant la comédie. Ils peuvent prétexter que les menaces (un général espagnol avait laissé entendre qu’il défendrait l’ordre constitutionnel « par tous les moyens ») et la répression les empêchent de tenir le référendum, notamment la saisie des bulletins et des convocations, la fermeture des sites internet, les procès et la mise sous tutelle des finances de la Generalitat.
Mais Madrid joue un jeu très dangereux. La désobéissance civile est massive en Catalogne, il y a eu de grandes manifestations d’étudiants ces derniers jours, de nombreuses écoles sont occupées et des syndicats ont déposé un préavis de grève générale à compter du 1er octobre au cas où le référendum serait empêché. Si les forces de police locales, les Mossos, obéissent encore à Madrid, l’administration désobéit ouvertement. Les perquisitions de bâtiments publics ont choqué l’opinion. Et les procès des dirigeants catalans peut pousser les masses à tenter le tout pour le tout. Nous voici donc face à une situation de quitte ou double : ou bien le gouvernement écrase temporairement le mouvement indépendantiste, ou bien il le radicalise, et perd ses moyens face à la pression populaire.
Quoi qu’il en soit, les prochaines semaines seront déterminantes. Notre Parti se positionne donc ainsi :
Nous reconnaissons la définition d’une nation comme une communauté humaine, stable, historiquement constituée, née sur la base d’une communauté de langue, de territoire, de vie économique et formation psychique qui se traduit dans une communauté de culture.
L’Etat espagnol a usé et use de la force contre la nation catalane pour l’empêcher de faire sécession. Nous soutenons le droit à l’autodétermination de la nation catalane. Si la nation catalane juge bon de faire sécession et donc de créer un Etat indépendant, c’est qu’elle se se sent opprimée par l’Etat espagnol. Nous devons soutenir son droit à l’autodétermination.
Le Camarade Lénine nous enseigne que « le principe de la nationalité est historiquement inéluctable dans la société bourgeoise, et compte tenu de cette société, le marxiste reconnaît pleinement la légitimité historique des mouvements nationaux. Mais pour que cette reconnaissance ne tourne pas à l’apologie du nationalisme, elle doit se borner très strictement à ce qu’il y a de progressiste dans ces mouvements, afin que cette reconnaissance ne conduise pas à obscurcir la conscience prolétarienne par l’idéologie bourgeoise. » (Notes critiques sur la question nationale, 1913)
Le nationalisme bourgeois de toute nation opprimée possède un contenu démocratique qui est dirigé contre l’oppression, c’est celui-là que nous soutenons. En revanche nous ne soutenons pas le contenu qui vise à renforcer le nationalisme et les privilèges de la bourgeoisie nationale et qui casse la conscience de classe du prolétariat en effaçant les distinctions de classes entre bourgeois, petits-bourgeois et prolétaires.
« Sous prétexte que ses demandes sont « pratiques », la bourgeoisie des nations opprimées va appeler le prolétariat à soutenir ses aspirations sans condition… Le prolétariat est opposé à une telle pratique. Tout en reconnaissant l’égalité des droits à un Etat national, il valorise surtout et avant tout l’alliance des prolétaires de tous les pays, et évalue toute demande nationale, toute séparation nationale, sous l’angle de la lutte de classe des travailleurs. Pour les travailleurs, la chose importante est de distinguer les principes des deux tendances. Dans la mesure où la bourgeoisie de la nation opprimée combat l’oppresseur, nous sommes toujours, dans tous les cas, et plus fortement que quiconque en sa faveur, car nous sommes les ennemis les plus constants et les plus fervents de l’oppression. Mais dans la mesure où la bourgeoisie de la nation opprimée est favorable à son propre nationalisme bourgeois nous somme contre. » (Lénine, cité par Ibrahim Kaypakkaya dans La Question Nationale en Turquie, 1971)
Nous soutenons donc le droit à l’autodétermination de la nation catalane. Et nous soutenons l’unité du prolétariat catalan et espagnol contre les intérêts de la bourgeoisie et des propriétaires.
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